L’Irak au bord de l’éclatement « Les dix péchés capitaux d’une reconstruction ratée »

Les causes de la crise irakienne actuelle sont multiples. Au-delà des implications immédiates, les séquelles de l’intervention militaire de 2003 sont les plus déterminantes. L’échec du processus de reconstruction institutionnelle a donné lieu à un État déficient, dysfonctionnel et corrompu offrant ainsi un terreau fertile à l’implantation et à la prolifération des mouvements terroristes et mafieux. L’auteur tente, dans la présente contribution, d’identifier « les raisons profondes » du drame actuel en tenant compte de l’impact des bouleversements intervenus depuis la chute du régime baathiste en avril 2003 sur les structures étatiques.

 

Note du 29 janvier 2015

J’ai reçu de nombreux commentaires sur mon texte dont il est utile de vous faire part. Au-delà des éloges et remerciements, certains me reprochent d’avoir ignoré le rôle des facteurs sociologiques et historiques dans le drame actuel. Ainsi, d’une part, la mentalité irakienne serait inadaptée à la démocratie et d’autre part, le caractère artificiel de l’État irakien qui, dès sa création était une entité imposée de l’extérieur, n’a pas réussi à transformer le système local, tribal, régional antérieur.

De prime abord, j’aimerais relever que le présent texte n’est qu’un working paper ayant pour ambition de relever les failles juridiques dans le processus de reconstruction, qui, à mon avis, aurait pu être mené autrement. Je ne prétends nullement apporter des solutions, ni faire une étude exhaustive qui aurait mérité une thèse en plusieurs volumes !

Il manque bien évidement toute une dimension sociologique. N’étant pas versé dans la discipline, je ne voulais pas vraiment m’aventurer sur les terrains de la compatibilité ou non de la structure étatique au contexte sociologique. Ali Al-Wardi, grand sociologue irakien, a abondé dans l’analyse de la personnalité irakienne, tiraillée entre modernité et esprit clanique (assabiyya d’Ibn Khaldoun). Je me suis donc contenté des considérations d’ordre purement juridique. Mais, je conviens que la reconstruction étatique est d’autant plus difficile que le pays durant un quart de siècle n’a connu que des guerres, ainsi qu’un embargo ayant duré plus qu’une décennie : résultat un million d’orphelins et une demi-million de veuves laissés à l’abandon. Le contexte est éminemment défavorable. Mais la mission est loin d’être impossible.

D’autre part, l’État irakien n’est pas plus artificiel que d’autres pays dans le Moyen-Orient d’après Sykes-Picot. Au contraire, il y a une forte identité irakienne (héritée de la Mésopotamie) qu’on aurait dû valoriser et mettre en avant au lieu de l’étouffer. Cette conscience collective a été battue en brèche parce que l’élément culturel qui faisait jadis la fierté de tous les Irakiens a été négligé tout au long du processus. Les Américains pensaient l’Irak qu’en termes de religion, confession et faction. Comme d’habitude les Occidentaux quand ils saisissent de l’Orient ne voient que la dimension religieuse!

Mais par delà, est-ce vraiment « imposer la démocratie » était le but des Américains ? Je persiste à croire que non. Les Américains n’étaient pas si stupides et savaient à l’avance tout ça. Nombreux sont ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme pour prévenir que leur stratégie en Irak allait conduire à une catastrophe. Le pays étant livré carrément à l’Iran, or toute l’histoire de l’Irak est façonné par ce conflit arabo-persan depuis les Sumériens, les Abbassides jusqu’à la chute de Saddam en passant par les Ottomans. Aujourd’hui encore, L’Iran ne regarde l’Irak que comme un pays satellite situé dans sa sphère d’influence. A-t-il été impossible aux Américains de prévoir tout cela ? Ou au pire y remédier du moins durant les premières années de l’invasion ?

Je crois, et l’histoire nous le dira, que les Américains avaient pour objectif de redessiner la carte du Moyen-Orient, le diviser en mini-États suivant les lignes confessionnelles (Soft partition) et surtout sécuriser l’approvisionnement en pétrole. Curieusement, aujourd’hui en dépit de tous les conflits meurtriers, la seule chose qui continue à couler à flots dans la région, à part le sang, c’est le pétrole !

Ce contenu a été mis à jour le 12 décembre 2016 à 16 h 39 min.